Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blogue de Bourjoi (www.bourjoi.com) sur l’Art et autres sujets
15 mars 2009

Barack Obama – beaucoup plus qu’un président.

Barack Obama – beaucoup plus qu’un président.

Aucun de nous ne doute que nous soyons nés pour vivre une vie. Il s’ensuit que nous nous plaignons tous de manquer de temps pour en profiter. Cela nous porte également à supposer parfois que les artistes seraient doués de talents exceptionnels pour vivre doublement et conjuguer deux rôles dissemblables à nos côtés.

Comment font-ils? Quelle aptitude extraordinaire permet à un poète réputé rêveur d’endosser également le costume de plombier, d’électricien ou de menuisier? Comment un sculpteur peut-il occuper un emploi de soudeur, un graveur celui de mécanicien, ou un artiste peintre celui de facteur? Comment font également ces autres Janus que sont les hommes politiques pour endosser deux identités?

Par quelles aptitudes Barack Obama s’est-il dévoilé? Où a-t-il trouvé le temps de devenir l’homme qu’il est? Ces hommes et ces femmes qu’on remarque plus que les autres, ont-ils deux têtes en une seule? S’abreuvent-ils à des sources que notre société, sans cesse distraite par ses urgences, n’arrive pas à trouver? Chacun de nous a-t-il en lui ces capacités plus qu’ordinaires dont nous avons tous plus que jamais besoin?

La conscience de soi d’un seul permet-elle de les voir tous? J’ai osé ma première toile à l’âge de quatorze ans et taillé ma première sculpture en bois à seize ans. Mon caractère me semblait alors déjà entier. J’ai pratiqué de nombreux métiers en usine ou en chantier à Montréal, au Québec, en Ontario et ailleurs. J’ai fait office d’apprenti plombier, de magasinier, d’artisan, de machiniste, de soudeur et j’enseigne maintenant les arts plastiques au secondaire. Comment est-ce possible?

Être artiste est une recherche constante d’identité. Notre identité et celle de l’univers humain qui contribue à faire de nous ce que nous sommes. En usine, même si j’étais fier de l’ouvrage bien fait, je n’ai jamais été tenté de m’identifier au travail routinier, pas plus que je ne m’étais identifié à la misère familiale qui n’avait été qu’une suite de sévices physiques et moraux quotidiens, ni même à l’hôpital où enfant je me réfugiais. Je ne m’étais pas plus identifié à mon milieu social qui ne voyait en moi qu’un infirme et prédisait que je ne pourrais rien faire de productif dans la vie. Je n’avais pas plus été séduit par les valeurs des fonctionnaires au service de la ville qui s’étaient imposés à ma famille. Confrontés à mon père malade et chômeur, ils n’ont pas su quoi faire à part l’interner et ensuite saisir pour taxes impayées la maison qu’il avait entièrement construite de ses mains. Ils nous ont même jetés à la rue, ma sœur, mon frère, ma mère et moi, avant qu’il ne sorte de cellule. Six mille ans d’évolution urbaine, de cumul de ressources et d’expérience n’ont pas suffit pour que la ville cesse d’opposer sa petite survie à celle du citoyen.

Je n’acceptais pas non plus le désarroi de papa. Affligé par mon infirmité, il me battait comme plâtre pour me mettre, comme il disait, du plomb dans la tête. Sous les coups, je ne m’abandonnais pas au désespoir. J’ai appris à les ignorer. Je me voyais plus résistant qu’il ne le croyait. Le matin, j’enjambais son corps endormi et fuyait par la fenêtre pour partir à l’exploration de l’est de Montréal et de ses rives. J’aurais voulu trouver en lui ce qui m’avait manqué à l’hôpital, durant les longues périodes que j’ai passées à surmonter neuf pneumonies étalées sur mes six premières années de vie. J’avais plus de vies qu’un chat.

Maman s’était mariée, avait pour ainsi dire été possédée à quinze ans. Papa, son aîné de dix ans, un homme solitaire et ergomane, l’avait mariée pour en prendre possession. Pour la mettre à sa main. À dix-neuf ans, lorsqu’elle a créé l’univers pour moi, elle avait déjà enterré deux enfants. Le premier était mort des suites d’une méningite et la deuxième d’un empoisonnement au monoxyde de carbone auquel elle avait elle-même survécu de justesse. L’univers extérieur à l’être apparaît au nouveau-né comme il est apparut à la conscience humaine autour des premières villes construites il y a environ six mille ans.

Ma mère créatrice du réel ne pouvait être seulement cette femme qui, avant de m’y accompagner, n’avait jamais vu l’intérieur d’une école. Pour survivre, je ne pouvais accepter qu’elle ne soit qu’une victime. Cela m’aurait réduit à n’être qu’une victime moi aussi. J’avais survécu à la maladie. J’étais un résistant de la mort. J’étais un survivant. Survivant je ne pouvais être qu’humain. Pour accéder à mon humanité il fallait aussi que maman soit humaine. Mes manques physiques ne devaient faire aucune différence. Pour m’accepter malgré les coups et l’effroi quotidien, pour ne pas transmettre tout ce mal, je devais aussi comprendre tous ceux qui m’avaient donné la vie, une âme et une conscience. Durant de longues semaines de solitude à l’hôpital j’avais découvert l’intériorité. Immobile dans mon lit durant de longues heures, j’avais pu voir qu’il y avait un monde différent de l’univers familial. Une autre langue, d’autres manières d’aborder ou d’affronter la réalité.

À l’âge de dix ans, à travers les coups et les humiliations venant des enfants du voisinage, l’ombre de la mort et le sentiment de solitude extrême qui l’accompagne revenaient en moi. Pour vivre pleinement, j’avais pensé devenir scientifique ou musicien. Étant fils d’ouvrier je ne pouvais devenir qu’artiste plasticien.

Quelques vingt-cinq ans plus tard, je sculptais des blocs de cire dont je faisais de superbes sculptures de bronze. Mes sculptures étaient présentées à l’occasion d’une ou deux expositions de groupe ou solo par année. Les collègues de travail qui venaient à ces expositions ne comprenaient pas comment je trouvais le temps de faire tout cela. Dans la même usine, avant de devenir technicien en inspection comme eux, j’avais déjà fait le travail éreintant et très agressif de meuleur d’assemblages soudés, parfois à plus de deux cents degrés Celsius. Devenu leur collègue de travail dans le même corps d’emploi, j’inspectais ces mêmes soudures et assemblages soudés.

Gagner ma vie, comme on dit, ne me satisfaisait pas. La nécessité intérieure acquise au creux d’un lit d’hôpital restait très présente. Je compensais un manque, une absence, et j’avais besoin de me savoir concret. Nous ne sommes pas, loin de là, constitués que de chair et de sang. Être concret, pour nous est intérieur.

Lecteur avide, j’avais toujours un livre sur moi. De l’état d’ouvrier j’appréciais l’aspect exclusivement manuel. Ma tête était peu mobilisée par le travail en usine. Cette liberté intellectuelle me permettait de réfléchir longuement aux sujets de mes lectures diverses. C’est là que j’ai trouvé l’inspiration, les idées et les manières par lesquelles je suis devenu un homme très différent de l’enfant que mes parents croyaient avoir mis au monde.

Certaines personnes croient que nous n’utilisons que dix pour cent de notre cerveau. Il faut dire que rien n’est plus faux. L’organe cérébral emprisonné sous notre crâne n’a pas pour fonction première de faire de nous des êtres sagaces. L’ensemble des fonctions neurologiques n’est destiné qu’à nous garder en vie et nous permettre de nous reproduire avec le plus de succès possible. Il nous reste peu de ressources disponibles pour en faire de la culture, de l’intelligence, et peut-être même un peu de conscience.

Dès l’âge de douze ans, je ne croyais pas comme mes amis du quartier Hochelaga être né pour un petit pain. Je savais être né pour vivre et grandir. Ce qui ne pouvait qu’être prodigieux. Je ne pouvais accepter que la vie soit une préparation à la mort promise par le curé de notre paroisse. J’ai refusé de participer à la cérémonie de la communion solennelle. Je n’y ai même pas assisté. Je ne croyais pas non plus que le meilleur de ma nature vienne d’un autre univers mystérieusement inconnaissable. Mon corps était celui d’un infirme, mais mon esprit ne l’était pas. Je ne pouvais pas accepter l’idée qu’il me faille une greffe d’âme pour être humain. J’étais convaincu que nous représentions le seul espoir d’humanité de ce côté-ci de l’univers connu. Je pariais sur notre nature.

Je savais, puisque cela est d’une indéniable évidence, que chacun de nous est issu du vivant. J’étais et reste scandalisé que nous ayons évolué durant des centaines de milliers d’années pour nous retrouver dans une société qui n’arrive toujours pas à protéger ses enfants, petits et grands, jeunes et vieux, et qui persiste par son étourderie à perpétuer la fatalité inconsciente. N’ayant ni père digne de ce nom, ni mentor, je me sentais livré à moi-même. Je cherchais un père spirituel dans notre culture en explorant les œuvres et la mémoire des hommes et des femmes qui ont laissé derrière eux des témoignages de vie transcendants.

J’admirais Thomas More qui, au prix de sa vie, avait choisi d’être fidèle à son humanité plutôt qu’aux caprices mesquins de son roi qu’il aimait pourtant profondément. Je n’y voyais pas autant la profondeur de sa foi que la solidité de son caractère d’humain. À travers les idées de ces esprits plus éveillés que les autres je cherchais le projet d’un monde humain fait pour les humains dans lequel j’aurais pu me sentir en sécurité. Un monde de notre conception répondant à nos rêves dans lequel il serait possible et naturel de devenir adulte.

C’est à l’atelier numéro 2 de la Vickers, un immense bâtiment d’acier, de tôle et de verre, à l’intérieur noirci d’huile et empli de nuages de particules de toutes sortes que j’ai lu « Le grand Code » de Northrop Frye. Dans cet ouvrage, l’auteur analyse les évangiles, la bible des chrétiens. Un livre qui ne devient profondément compréhensible que lorsqu’on en extrait la dimension divine. Une allégorie à l’origine des mythes fondamentaux imprégnant notre culture de toutes parts.

Ce livre m’a ouvert de nombreuses portes. Derrière l’une d’elles, j’ai vu Paul de Tarse et à travers ses yeux un homme si profondément humain que Paul l’a supposé surnaturel. Même si d’une certaine manière il l’était, le croire surnaturel le mettait presque hors de notre portée. C’était comme si, pour vivre pleinement notre humanité, nous devions arracher hors de notre poitrine notre coeur brasillant de sacré pour l’enfouir dans le corps d’un être divin. Nous n’osons pas nous croire de cette trempe.

Ce cœur que nous savons reconnaître comme nôtre doit également battre dans d’autres poitrines. Lesquelles? Celles des artistes, des politiciens, des hommes de foi, des médecins et des infirmières ou tout bonnement dans celles de tous les pères et mères de ce monde?
Transformer la matière durant des milliers d’heures d’activité intense permet d’en expérimenter l’invariabilité, ce qui la rend finalement complètement malléable. Confronté à l’acier et au gigantisme de certains appareillages, l’humain paraît fait d’une matière plutôt molle et instable. Je trouvais la matière docile et me réfugiais aisément dans sa transformation. Comme le reste de notre civilisation j’en retirais une sensation rassurante de contrôle et de pouvoir sur le réel. Fasciné par le contact presque charnel avec la matière, comme l’ensemble de notre société, j’évitais l’échec du vivre ensemble.

Que ce soit modeler, sculpter, usiner, marteler, souder, visser, clouer ou coller le bois, les plastiques, le béton, les aciers ferreux ou non ferreux; je faisais ce que je voulais de la matière. Je ne souhaitais pourtant pas devenir fer ou bois moi-même. Modeler la matière n’est pas la même chose que prendre la matière pour modèle. Je n’ai jamais pu me valoriser à travers les bidules que nous offre la vie moderne, comme l’automobile. Même les ordinateurs, ces appareils séduisants dont l’imagerie virtuelle se confond à tort avec notre imaginaire psychique, mais qui ne contiennent aucun coeur qui bat. J’étais né infirme, c’est-à-dire un peu moins qu’humain. J’aspirais surtout à devenir totalement humain.

J’ai aussi parfois rêvé de manipulations génétiques pour accélérer notre évolution ou d’implants cybernétiques qui nous auraient transformés en cyborgs à l’épreuve de tout. Mais, lorsqu’il s’agit de progrès humain, il n’est pas nécessaire de chercher au loin ce qui se trouve tout près. Contrairement à la matière, nous ne sommes pas à fabriquer. Sans cesse émergents, nous sommes à éduquer. Marcher ne peut se faire qu’en levant un pied à la fois du sol.

Il y a quelques années, afin de réaliser une œuvre pour une exposition à Washington, ma compagne Gaétane et moi sommes allés visiter le domaine de Georges Washington à Mount Vernon. Que Washington ait été le premier président des États-Unis d’Amérique ne m’a pas semblé très important. Il y a toujours un premier en tout. Qu’il ait été un général glorieux ne m’a pas semblé important non plus, puisqu’il y aura toujours des généraux héroïques et glorieux. Par contre, le fait qu’il ait été prompt et sanguin de caractère jusqu’à ce qu’il consulte à dix-sept ans un manuel sur la manière dont devrait se comporter un jeune homme, et qu’il se soit par la suite transformé lui-même, me semblait beaucoup plus remarquable.

Si Washington y est arrivé, même s’il nous faut imaginer une glaise se modelant elle-même, nous le pouvons aussi. Pour mieux vivre avec nos frères et sœurs humains (cela ne saurait être hypocrisie ou mensonge), nous devons volontairement modeler et façonner ce que nous sommes, encore plus que notre apparence. C’est là que la société, les parents et les amis doivent se tenir à nos côtés et nous encourager.
Nous n’avons de cesse d’être surpris, curieux et émerveillés que la société américaine (nous souhaiterions parfois que ce soit tout l’Occident) ait élu un homme noir à la présidence des États-Unis.

Que les Américains aient élu un homme noir pour occuper la maison blanche ne m’impressionne pas outre mesure. Ayant presque tout désappris de leur société, les républicains ne pouvaient y retourner. Une femme? Aucune culture au monde ne peut éplucher l’encre des évangiles à la loupe et voter pour une femme. Sarah, Marie, Marie-Madeleine à la maison blanche, c’est inconcevable. Il faudrait d’abord qu’ils apprennent à lire les évangiles autrement.

Il y a une quinzaine d’années, ma compagne et moi avons passé plusieurs jours dans une auberge à Wells dans le Maine. Nous en avons profité pour assister à la messe du dimanche dans une modeste église située tout près. Ce fut une expérience sidérante. La petite église était pleine jusqu’aux portes de fidèles enthousiastes émus aux larmes comme s’ils ne formaient qu’un et voyaient réellement ce Christ radieux dont on leur parlait tant dans la Bible.

J’imagine aisément le petit Barack s’imprégnant de centaines de séances semblables. Une école inimitable pour un orateur.
La parole et le langage représentent ce que nous avons de plus près de la communion des esprits. La parole nous a permis d’accéder à la conscience d’être nécessaire à la vie collective. La parole donne vie aux artistes et à tous ceux qui réussissent à devenir humains et à rester fidèles à leur humanité.

Il y a quarante ans, Martin Luther King clamait son très célèbre « I have a dream ». Il n’a pas dit « I had a dream ». Son rêve n’a jamais cessé d’exister. Il nous présentait ainsi avec conviction et passion l’articulation essentielle de notre nature.
La génétique ne cesse de le décrypter : nous ne représentons tous ensemble avec nos différences qu’une seule espèce. Il reste en nous beaucoup de parts de l’être primitif qui peine à devenir, comme Abel, paisible agriculteur et surtout plus récemment urbain grégaire. Les différences, aussi perceptibles soient-elles, ne sont que des variations sur un thème. Nous ne composons qu’une seule espèce et le racisme, cette peur de l’autre, qui n’est pourtant pas si différent de nous, n’a aucune raison d’être. Génétiquement, tout en étant fort diversifiés culturellement, nous sommes presque homogènes. C’est par la diversité culturelle que l’adaptabilité et la survie de notre espèce seront assurées. Cette diversité est notre principal atout pour l’avenir.

La science-fiction explore parfois les difficultés d’adaptation que subirait l’homme des cavernes s’il pouvait être transporté dans notre monde. Les auteurs de science-fiction n’ont pas su voir que les difficultés de cet être transplanté dans notre monde demeurent actuelles. Tous les bébés qui naissent aujourd’hui portent le même code génétique que nos ancêtres les plus éloignés. Ce n’est que la culture que nous avons accumulée et dont nos enfants actuels sont les héritiers qui contribue avec plus ou moins de succès à en faire des hommes et des femmes modernes.

À la fois espérance et affirmation, Être, surtout humain, est un état à l’origine de tous les espoirs. Rien n’a de sens si nous ne sommes pas en premier lieu humain. Être cultivé ne veut pas dire avoir de la culture. L’enculturation survient à chaque fois que le petit du chasseur-cueilleur que nous avons déposé dans le berceau comme Moïse sur les eaux en ressort humanisé. C’est alors que le verbe d’état et d’action prend tout son sens. Être cultivé, c’est la capacité de trouver sa voie dans la cité des hommes.

En mentionnant ses enfants et en ajoutant : « ... they will not be judged by the colour of their skin but by the content of their caracter » Martin Luther King savait très bien que nous ne trouvons pas l’humanité dans la chair et l’os, ni même dans la couleur de la peau.
Notre identité n’est complète que par l’existence d’un double de nature psychique auquel nous sommes attaché au moins autant, sinon plus qu’à notre vie. En nous, il serait nous et n’aurait de sens que dans un monde composé d’humains.
Nous devons dorénavant prendre conscience de ce que pressentent depuis longtemps les artistes et devraient mieux comprendre les politiciens : nous ne sommes plus des primates soumis aux aléas d’un monde ne conduisant qu’à la mort. Nous ne devrions plus être prêts à bondir toutes griffes dehors comme si, encore de nos jours, nous devions être prêts à manger la proie ou être mangé par la proie. Nous ne vivons plus dans des grottes glaciales.

Même si dans cet univers cruel nous devons notre survie à des muscles puissants, des réflexes percutants, des pulsions de prédateur et à l’instinct primordial de la compétition, nous sommes entre nous. Même au fond des campagnes. Toute la planète est devenue une seule et immense cité.

Nous ne pouvons plus nous contenter de faire les choses comme le chasseur-cueilleur de nos origines. Que nous reste-t-il à vaincre? Le modèle économique instinctivement pratiqué par le prédateur ne convient plus.

L’art étant plus gratuit qu’opportuniste il est aisé de comprendre les réticences des parents et des sociétés devant l’engagement artistique de leurs enfants. Pourtant la société ne saurait s’en passer puisque c’est l’art qui nous ouvre les portes psychiques. La fonction imaginaire est centrale à tout ce que nous sommes. C’est la vraie nature de l’humanité.

Depuis Abel et surtout Daniel qui, étant devenu aussi humain qu’il soit possible, ne pouvait plus être atteint par l’animal, fût-il un lion, nous rêvons tous de cet homme sachant vivre parmi les hommes, aux qualités humaines plus angéliques que génétiques. Nous prêtons aisément ces qualités à nos meneurs (leaders) de tous types et ne cessons d’être déçus lorsque nous constatons leurs failles. Nous portons tous en nous l’image de cet homme qui a su se trouver un frère au plus haut du Golgotha, le sommet ultime du crâne.

Comme vous tous, j’ai assisté, ébahi, à l’ascension de ce personnage plus mythique que noir ayant pour nom Barack Hussein Obama. Un personnage qui n’est pas tout à fait Kényan, Hawaïen, noir, blanc, ou même américain, mais fils d’un monde dans lequel malgré nos manques, peut-être même grâce à nos doutes, nous étions tous avec nos infirmités et nos maladies, fils et filles d’humains, vivant plus que jamais parmi des humains.

À travers toutes les identités s’offrant à lui, Barack Obama témoigne d’une  identité qui les englobe toutes comme seule la nature psychique de l’humain le permet. La seule par laquelle il est possible de vivre une vie faite de corps et d’âme comme s’il y  avait deux natures et même plus en une seule.

Il ne serait pas tout à fait démocrate, pas tout à fait républicain, pas tout à fait noir, pas tout à fait blanc. Il conçoit même qu’il y ait des gays et des athées. Il accepte d’être une partie de tous en s’inspirant du « We the people » énoncé un peu prématurément ou en osant dire « We are one », qui n’est possible que par l’esprit. Comme Washington il semble détenir ce pouvoir de transformation que nous devrions tous détenir en puisant dans ce que notre culture nous offre de meilleur.

Certains y voient l’homme de la situation. Personnellement, je vois plutôt un concours de circonstances qui ont rendu sa révélation possible. Il représente le type de citoyen que l’Occident formerait si notre civilisation fonctionnait et n’était pas entre les mains de l’ombrageux chasseur-cueilleur. Heureusement résiliente, cette part de notre nature persiste à nous laisser des écrits, des musiques et des œuvres d’art par lesquelles, c’est là le secret, nous devenons humains par en dedans.

Je ne peux voir en Barack Obama une nouvelle sorte d’homme pour une société plus moderne. Nous ne sommes pas, si ce n’est par notre culture, plus évolués. Il est plutôt ce genre d’homme qui arrive tout de même à naître, vivre et croître malgré l’échec de nos sociétés timorées à l’éduquer. Malgré les conditions insensées que nous avons perpétuées dans notre monde et qui ne cessent d’inscrire nos angoisses dans nos structures sociales, politiques et commerciales, il est parvenu contre toute attente à trouver la place qui devait être la sienne. De là l’éblouissant espoir qu’il suscite en la majorité et le dégoût qu’il inspire aux quelques-uns qui refusent d’être confrontés à leur humanité.
Les Centaures fougueux que nous sommes serions devenus suffisamment humanisés pour accepter d’entendre battre notre cœur à l’unisson du cœur d’un homme prêt à vivre dans un univers qui ne soit ni une jungle, ni un désert, ni une toundra, mais un monde humain. Depuis le temps que nous en rêvons, il est réjouissant qu’il accède finalement au pinacle du pouvoir.

Que ce fils d’humain sachant parler d’humanité soit là, c’est cela, beaucoup plus que ses qualités, qu’elles soient réelles ou imaginaires, qui est réjouissant et source d’espoir.

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité